Dans les rues de Shyn

Je disparais dans l'ombre d'un porche et attends que les trois hommes qui me suivent depuis plusieurs croisements déjà passent devant moi. San un bruit je dégaine mon épée, me glisse derrière eux et décapite le dernier des hommes. Ses deux comparses se retournent et me scrutent un instant, les yeux écarquillés, la bouche ouverte, figée dans un cri de surprise qui semble bloqué dans leurs gorges. Pour les aider à retrouver la parole, j'enfonce ma lame dans leurs trachées, chacun à leur tour, à une vitesse frôlant l'impossible. Leurs corps s'effondrent mollement sur les pavés, rejoignant celui de leur acolyte. Trois flaques rouges se forment lentement sous leurs cadavres, comme une fleur rubis s'épanouissant. J'essuie ma lame sur la tunique du mort le plus proche et détaille tranquillement ces individus assez stupides pour avoir tenté de me prendre en filature. Leurs visages sont sales mais, sous la crasse, on devine leur jeunesse. Ils portent des vêtements bon marché, grossiers et rapiécés de toutes parts. De légers renflements, au niveau des hanches, m'indique qu'ils étaient armés. Je soupire, lasse. Depuis que je suis entrée dans cette fichue ville, j'ai déjà dû tuer deux grosses brutes qui ont tenté de me violer, toute une bande (dix hommes au total) désireuse de me faire la peau pour un motif inconnu et trois voleurs un peu trop lents. Je pouvais donc rajouter ces trois lascars à mon tableau de chasse de la matinée. J'ai l'habitude de tuer, là n'est pas le problème. Mais autant de combats en si peu de temps me laisse perplexe. En fait, c'est la ville dans son ensemble qui m'intrigue. Ici, le crime est légion, même un idiot le comprendrait. Pourtant, la cité est très peuplée et, contrairement à ce à quoi je m'attendais, personne ne parait triste ou désespéré. Il n'y a que sourire et bonne ambiance autour de moi, alors même que trois cadavres frais jonchent la rue. Les passants les contournent ou les enjambent comme si rien n'était, ils poursuivent leurs discussions sur le même ton enjoué, leurs regards passent sur les dépouilles comme sur les murs des bâtiments. Cela m'étonne toujours autant. J'avise du coin de l'oeil quelques femmes immobiles au coin de la rue, les yeux rivés sur les cadavres. Je m'éloigne de plusieurs pas, leur signifiant selon l'étrange code de la ville que j'ai vite assimilé que je ne m'intéresse pas aux objets que possédaient mes victimes. Elles se ruent alors sur les trois corps, fouillant poches, bottes, retournant les vestes, en quête d'argent, d'armes (qu'elles trouvent bien évidement), ou d'autres objets un tant soit peu intéressant ou vendable. Je reprends mon chemin d'un pas rapide. Malgré mon jeune âge, j'ai énormément voyagé au cours de la dernière décennie et aucune cité ne ressemble à celle-ci. Je m'engouffre dans une ruelle à droite. En cette fin d'après-midi les ombres des édifices s'étirent paresseusement, plongeant dans une pénombre fraîche certaines venelles et avenues, tandis que le soleil commence à s'affaiblir. L'air est plein de senteurs diverses, pain chaud, bières, parfums de fleurs émanant des innombrables pots, fontaines et petits jardins parsemant la ville, effluve de sang aussi, de mort et de sueur. Un étrange et déroutant mélange. Je tourne encore une fois à droite, ignorant où je vais, sinon que je désire me rendre dans les Hauts-Quartiers. J'ai ouïe dire que le maître de Shyn se trouvait là-bas, dans les vestiges d'une ancienne forteresse et j'ai bien l'intention de le rencontrer. Pourquoi? Hum, disons que j'aime les défis et que cette ville m'a réellement intriguée. Alors je veux voir celui qui la contrôle. Doucement j'appelle en esprit ce qui dort dans les ténèbres de mon inconscience. Un rire discret me répond. Il a compris.