la découverte

J'esquissai un petit sourire. En dehors des lièvres, des corbeaux et des mouettes, aucun animal ne franchissait jamais les frontières du Royaume d'Encre. Cependant, là, il s'agissait d'un loup. Et pas n'importe quel loup. Mou sourire s'élargit sous mon capuchon. Cela faisait longtemps que je n'avais pas croisé un être de cette race. Tellement longtemps... Il était loin -environs trois kilomètres- mais son aura était bien là, d'un vert émeraude, scintillant dans mon esprit. Il se dirigeait vers l'ouest, s'enfonçant toujours plus dans mon territoire et dévorant tous les "longues-oreilles" (comme il me plaisait à les surnommer) qui passaient à sa portée, rendus lents et peu craintifs par des siècles et des siècles de tranquillité, sans aucun prédateur. Le vent agita ma cape et je me levai du rocher où j'étais assis. D'un bond je fus en bas de mon perchoir et je m'élançais à travers les landes. Les cieux de plomb devinrent plus lourds et l'air se chargea d'humidité. Comme si souvent, un orage se préparait. La pluie brouillerait sans doute l'odorat du loup et je pourrais ainsi l'approcher sans qu'il ne me repère avant qu'il ne soit trop tard mais peu importait en réalité. Même s'il avait voulu me tuer, même s'il s'était s'agit de toute une meute entière, je n'aurai pas perdu. J'étais le prince du Royaume d'Encre, après tout...

La pluie martelait sourdement les alentours et le tonnerre, si lointain l'instant d'avant, explosait désormais au-dessus de ma tête avec rage. Une buée blanchâtre s'élevait de la terre et noyait le paysage. Mais je n'avais pas besoin de ma vue pour me diriger dans mon royaume (il ne manquerait plus que cela!). Je savais où se trouvait mon invité. Dans une cavité non loin. Je hâtais le pas. J'aurais pu me "dissoudre" et me fondre dans les ombres environnantes mais... marcher faisait du bien, de temps à autre. Et je refusais de dévoiler si facilement l'un de mes talents à un étranger. Peut-être, après tout, ne resterait-il pas. Même si je ferais tout pour que ce ne soit pas le cas, même si j'en fais mon prisonnier, je ne peux contraindre la volonté d'autrui éternellement. L'une des seules limites que je possédais, du reste. Je ne mis pas longtemps à rejoindre la grotte, néanmoins je n'y entrais pas. Je m'arrêtais plutôt juste devant. Dans la brume et avec ma cape noire et mon capuchon, j'étais conscient de ressembler à un spectre. Je souris mentalement et lançais mon esprit à la rencontre de celui du loup. Sans hésiter, je plongeais dedans, analysant souvenirs, sentiments, rêves, personnalité et tout ce qui composait l'âme d'un être vivant.

Du sang. Voilà de quoi était majoritairement constitué la mémoire et l'essence de la louve. Du sang, toujours plus, sur fond de hurlements. Parfois d'elle, souvent d'autres. Combien de vies avaient succombé sous ses crocs? Trop pour que je puisse les compter. Trop pour qu'elle-même s'en souvienne. Son esprit essaya d'entrer dans le mien. Je laissai échapper l'unique souvenir que je ne désirai pas cacher: la destruction du royaume.

Je sortis, non par obéissance, mais parce que j'avais vu ce que je voulais voir. Si cela m'avait plu? Oh que oui! Je m'adressais à mon tour mentalement à la jeune louve: